Contexte
Un vieux proverbe dit que les parents doivent « préparer l’enfant pour la route, et non la route pour l’enfant ». Cependant, les médias et les scientifiques qui travaillent sur les phénomènes de « surparentalité » ou de « parentalité hélicoptère » décrivent comment, de nos jours, les parents feraient de plus en plus le contraire (1,2). Il est probablement exagéré de dire que le phénomène prend des proportions épidémiques, comme on le suggère parfois. Néanmoins, certains éléments indiquent que, par rapport aux décennies précédentes, les parents sont plus souvent surimpliqués et surprotecteurs dans l’éducation de leurs enfants (3). Une telle tendance peut être potentiellement problématique, car elle peut exposer les futures générations d’adolescents et de jeunes adultes à des risques psychosociaux et entraîner des difficultés lors de la transition vers l’âge adulte (4).
Dans le présent projet de recherche, nous nous concentrons sur la surprotection parentale, qui consiste en une protection parentale excessive, compte tenu du niveau de développement de l’enfant (5). Il peut s’agir, par exemple, d’avertir constamment l’enfant de tout danger potentiel, de résoudre les problèmes de l’enfant sans qu’il n’essaie de le faire lui-même, d’intervenir dans les conflits de l’enfant avec ses pairs et de préserver l’enfant de toute situation potentiellement difficile ou risquée (6). En d’autres termes, la surprotection parentale semble se résumer à la conviction que “Mieux vaut prévenir que guérir » (en anglais: it is better to be safe than to be sorry), lorsqu’on éduque un enfant, d’où l’acronyme du projet SAFE-SORRY. Malheureusement, des recherches récentes suggèrent que la surprotection parentale est associée à un risque accru de difficultés psychosociales et de problèmes de santé mentale, tels que des sentiments d’anxiété et des problèmes scolaires (7,8). Lorsque les parents surprotègent leurs enfants, ils ne leur permettent pas de développer les aptitudes et les compétences nécessaires pour affronter avec succès les défis qui font partie intégrante de la vie (9, 10).
Objectifs de la recherche
Compte tenu des conséquences potentiellement néfastes de la surprotection parentale, l’objectif du projet SAFE-SORRY est de mieux comprendre pourquoi certains parents adoptent des pratiques parentales surprotectrices. Des recherches antérieures, menées en psychologie et dans des disciplines associées, ont déjà permis d’identifier un certain nombre de facteurs potentiels qui contribuent à susciter la surprotection parentale. Certaines études se sont concentrées sur les caractéristiques de l’enfant : par exemple, des problèmes de santé chroniques au cours du développement de l’enfant peuvent susciter des inquiétudes et des comportements protecteurs de la part des parents, ce qui peut renforcer la vulnérabilité de l’enfant (11,12). D’autres études se sont plutôt centrées sur les facteurs liés aux parents. Par exemple, lorsque les parents sont généralement plus anxieux dans leur fonctionnement personnel, ils sont plus susceptibles de l’être également dans l’éducation de leurs enfants (13). Bien que l’ensemble de ces études soit perspicace car elle nous aide à mieux comprendre les causes potentielles de la surprotection parentale, le contexte sociétal, culturel, économique et historique plus large est souvent négligé. Ceci est potentiellement problématique, car les parents pourraient être critiqués pour avoir adopté une approche parentale qui pourrait, en fait, être une stratégie d’adaptation à une réalité socio-économique changeante.
Dans le projet de recherche SAFE-SORRY, nous visons à intégrer les théories et les connaissances de différentes disciplines (dont la psychologie du développement, la psychologie sociale, la sociologie, l’économie et la psychologie clinique, entre autres) afin de fournir une compréhension plus contextualisée des facteurs qui expliquent pourquoi certains parents sont surprotecteurs. Premièrement, nous examinerons si les pressions sociétales au sujet de la parentalité (et de la maternité en particulier) incitent les parents à s’investir fortement dans leur rôle parental, ce qui peut entraîner une surprotection plus importante (14,15). Deuxièmement, étant donné la forte attention portée par les médias aux nombreux risques et dangers potentiels dans l’environnement immédiat des enfants (p. ex. l’attrait des téléphones portables et les dangers des addictions) et dans la société en général (p. ex. le terrorisme, le changement climatique), les parents peuvent s’inquiéter considérablement de la sécurité et du bien-être de leurs enfants, ce qui pourrait également susciter une parentalité surprotectrice (16). Troisièmement, l’inégalité économique croissante peut pousser les parents à s’impliquer fortement dans la vie scolaire de leurs enfants, car la prospérité économique future de ces derniers dépend de leurs résultats scolaires (17). Le projet SAFE-SORRY vise à examiner, à travers trois grands axes de recherche, si les facteurs socio-économiques expliquent pourquoi certains parents s’engagent dans une parentalité surprotectrice, en vérifiant également si certains facteurs parentaux exacerbent ou atténuent les effets de ces facteurs contextuels.
Méthodologie
Un premier axe de recherche consiste en une étude longitudinale de trois ans auprès de 660 parents d’adolescents en avant-dernière année de scolarité obligatoire. Les parents seront invités à participer à une étude par questionnaire à six occasions, tous les six mois. Cela nous permettra d’examiner comment la surprotection parentale évolue dans le temps, y compris lors de la transition de leur enfant après la scolarité obligatoire, et si cette évolution est liée à des perceptions et des croyances spécifiques sur le contexte socio-économique plus large. Un deuxième axe de recherche implique une approche observationnelle. Dans ce cas, nous inviterons les parents à venir l’université (parfois en compagnie de leur adolescent), pour participer à un entretien ou à une activité : une telle recherche permet d’obtenir un aperçu plus fin des expériences subjectives des parents et des adolescents. Un troisième axe de recherche concerne une étude interculturelle, pour laquelle nous travaillerons avec 10 pays différents (Australie, Belgique, Croatie, France, Géorgie, Grèce, Italie, Norvège, Suède, Suisse). Cette étude nous permettra d’examiner directement comment différents aspects du contexte culturel, sociétal et économique expliquent les différences et les similitudes dans la parentalité à travers ces différents contextes culturels.
Financement
This project has received funding from the European Research Council (ERC) under the European Union’s Horizon 2020 research and innovation programme (grant agreement No 950289).
Références
1. Acocella, J. (2008). The child trap: The rise of overparenting. The New Yorker. Retrieved from https://www.newyorker.com/magazine/2008/11/17/the-child-trap.
2. Bernstein, G., & Triger, Z. (2010). Over-parenting. University of California-Davis Law Review, 44, 1221-1279.
3. Wray, D., Ingenfeld, J., Milkie, M., & Boeckmann, I. (2021). Beyond childcare: Changes in the amount and types of parent-child time over three decades. Canadian Review of Sociology / Revue canadienne de sociologie.
4. Ungar, U. (2009). Overprotective parenting: Helping parents provide children the right amount of risk and responsibility. The American Journal of Family Therapy, 37, 258-271.
5. Thomasgard, M., Metz, W. P., Edelbrock, C., & Shonkoff, J. P. (1995). Parent-child relationship disorders: I. Parental overprotection and the development of the Parent Protection Scale. Journal of Developmental and Behavioral Pediatrics, 16, 244-250.
6. Brenning, K. M., Soenens, B., Van Petegem, S., & Kins, E. (2017). Searching for the roots of overprotective parenting in emerging adulthood: Investigating the link with parental attachment representations using an Actor Partner Interdependence Model (APIM). Journal of Child and Family Studies, 26, 2299-2310.
7. Van Petegem, S., Zimmermann, G., Albert Sznitman, G., & Darwiche, J. (2021). Putting parental overprotection in a family systems perspective: Relations of overprotective parenting with perceived coparenting and adolescent anxiety. Family Process.
8. Spokas, M., Heimberg, R. G. (2009). Overprotective parenting, social anxiety, and external locus of control: Cross-sectional and longitudinal relationships. Cognitive Therapy and Research, 33, 543-551.
9. Van Petegem, S., Antonietti, J.-P., Eira Nunes, C., Kins, E., & Soenens, B. (2020). The relationship between maternal overprotection, adolescent internalizing and externalizing problems, and psychological need frustration: A multi-informant study using response surface analysis. Journal of Youth and Adolescence, 49, 162-177.
10. Zimmer?Gembeck, M. J., & Skinner, E. A. (2016). The development of coping: Implications for psychopathology and resilience. In D. Cicchetti (Ed.), Developmental psychopathology: Risk, resilience, and intervention (pp. 485-545). John Wiley & Sons.
11. Holmbeck, G. N., Johnson, S. Z., Wills, K. E., McKernon, W., Rose, B., Erklin, S., & Kemper, T. (2002). Observed and perceived parental overprotection in relation to psychosocial adjustment in preadolescents with a physical disability: The mediational role of behavioral autonomy. Journal of Consulting and Clinical Psychology, 70, 96-110.
12. Hullmann, S. E., Wolfe-Christensen, C., Ryan, J. L., Fedele, D. A., Rambo, P. L., & Chaney, J. M. (2010). Parental overprotection, perceived child vulnerability, and parenting stress: A cross-illness comparison. Journal of Clinical Psychology in Medical Settings, 17, 357-365.
13. Coplan, R. J., Arbeau, K. A., & Armer, M. (2008). Don’t fret, be supportive! Maternal characteristics linking child shyness to psychosocial and school adjustment in kindergarten. Journal of Abnormal Child Psychology, 36, 359-371.
14. Hays, S. (1996). The cultural contradictions of motherhood. New York: Yale University Press.
15. Newman, H. D., & Henderson, A. C. (2014). The modern mystique: Institutional mediation of hegemonic motherhood. Sociological Inquiry, 84, 472-491.
16. Furedi, F. (2018). How fear works: Culture of fear in the twenty-first century. London, UK: Bloomsbury Publishing.
17. Doepke, M., & Zilibotti, F. (2019). Love, money, and parenting: How economics explains the way we raise our kids. Princeton, NJ: Princeton University Press.